De l’intime et de l’après

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1- Intime, intimité

Dans mon activité je performe des actes jugés intimes : je pénètre des bouches, des culs, j’explore, râcle et dépiaute des cerveaux.
La réciproque n’est pas vraie : je ne suis pas nue, pas pénétrée, mes fantasmes, mes systèmes internes ne sont pas l’enjeu de la séance. Ce qui est réservé à la sphère (ultra) privée est le champ de mon travail, et j’y opère avec plus ou mloins d’engagement ou de recul.
« Comme un psy », m’ont dit des psys.

C’est passionnant. Périlleux, parfois. Ça peut créer un déséquilibre, des malentendus et des incompréhensions, y compris dans ma vie privée. Ainsi, un jour, un homme m’a-t-il dit que j’étais polyamoureuse parce que j’avais des clients (euh). Il confondait pro et perso, interactions physiques et relations.

Pour moi l’intime tient moins à un acte qu’à une relation et à mon désir. Effleurer un bras peut être bien plus intime que de pénétrer un anus. Une séance de domination professionnelle n’est à mon sens pas basée sur l’intime de la Maîtresse (même si elle peut le rencontrer), mais celui du client.
En revanche nous créons de l’intimité, c’est-à-dire un espace-temps-échange à part, décroché du monde dit « réel » et de ses normes, où certain·es peuvent dire, vivre et jouir de ce qui n’est pas toléré ailleurs.

Précision : la question de l’intime non réciproque est au centre du TDS, mais existe hors TDS et BDSM. L’argument « Je n’irai jamais voir une profesionnelle parce que j’ai envie qu’elle ait envie » n’est pas forcément pertinent. Une foule d’interactions non tarifées (et consenties, je précise) se passent pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’envie et sans qu’aucun-e partenaire n’engage de soi.

2- L’après

Je pense de plus en plus à ce que je ferai, après la Domination professionnelle. À mes débuts je n’avais pas de plan, juste le désir longtemps entretenu de me lancer. Puis j’habitais à l’étranger, et la domination était une activité ponctuelle.

À mes débuts je ne voulais pas de gros mobilier (croix, banc à fessées…), pas trop de matériel ni de contraintes. Je voulais être libre d’arrêter du jour au lendemain, sans boulet au pied, si jamais. J’aimais l’idée d’être furtive, de ne faire que passer, et du donjon mobile. Remballer mes malles, m’éclipser, bye.

Je n’avais pas l’idée de faire carrière. Je m’en fichais. Je voulais suivre mon désir, mon axe, concrétiser un projet, essayer, échouer peut-être, me confronter à moi-même, à la réalité et mes limites. J’avançais d’un mois sur l’autre, comme j’ai beaucoup vécu, dans mes bulles de musique et de mots, avec horizon flou.
La vvvvvvvvadrouille.

À dire vrai, l’idée de carrière m’est assez étrangère – et l’a toujours été. Celle de Dominatrice s’est dessinée à mon insu, à force de durer dans l’activité. Sur le chemin il y a eu mon site pro, l’aventure de La Férule, L’Emanuscule, La Loi du Talon, le Périple en Minordomie, des prises de parole, l’animation d’ateliers… De totale inconnue je suis devenue « Madame », « Madame Lule » ou juste « Lule ».
Impensable au départ, alors que j’imaginais passer comme une comète. Fière de ma route, oui, mais certaine aussi d’arrêter un jour. Dans un an, deux, cinq ? Aucune idée. Je glisserai vers autre chose, sans doute l’accompagnement des personnes, sans doute dans le champ de la sexualité. C’est logique et un peu triste – mes affinités particulières avec la nostalgie, sûrement.

Arrêter, cela signifie renoncer à une part de mon identité (exit Madame Lule). C’est aussi sortir d’une communauté qui m’est chère, celle des TDS, où je compte des presque soeurs, des ami-es, des copines, des relations. Jamais, auparavant, je n’ai été si entourée – et je suis volontiers solitaire.
Pour le moment je suis là, satisfaite et attentive à la petite phrase qui monte, monte :
« Hey, Alda, Madame, c’est quand qu’on va où ? »

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