Les voix qui parlent dedans

Réflexion sur la Domination professionnelle
C’était l’époque où je ne montrais pas encore mon visage. J’ai voulu m’associer à son idée, poster une photo avec la pancarte
« Someone I love is a se x worker »
lors de la journée internationale pour l’élimination des violences faites aux travailleurs du sexe (17 décembre).
J’ai griffonné le texte sur un coin de table, j’ai attrapé un bâillon, mon téléphone, j’ai ouvert les rideaux rouges, j’ai cherché le bonne lumière.
Je me suis cachée, un peu.
À l’époque déjà, j’avais envie de témoigner de ce que c’est, la Domination professionnelle vue de ma petite fenêtre.
À l’époque déjà je brûlais d’être grande, ancrée et flamboyante, d’expliquer et de dire, de témoigner et de m’indigner, aussi.
À l’époque je n’osais pas. Je craignais d’être mal comprise, jugée pour de mauvaises raisons, reconnue, insultée, harcelée.
À l’époque un mister nobody m’a traitée de « pute » sur Insta, en ajoutant que « pute », je devrais me la boucler au lieu de jouer les intellectuelles. J’ai ri. J’en ris encore.
À l’époque beaucoup d’ami-es ont posté la même pancarte. C’était fort et doux, une reconnaissance.
Le temps est passé. J’ignore si je suis grande et flamboyante – toujours moins, sans doute, que la grande-flamboyante-Femme qui habite dans ma tête, quand elle ne m’habite pas tout court.
La différence ?
Maintenant je me montre et je parle et je ne regrette rien. Oh, ce n’est pas facile : je fais partie des perfectionnistes, de ces obsédé-es qui pèsent, soupèsent, ruminent, se repassent TOUTES leurs réponses en boucle, de préférence la nuit, et bloquent sur un détail.
Une erreur d’adjectif ? Un passeport pour l’insomnie.
Puis sous mon crâne, ça a tendance à causer en permanence, sur plusieurs lignes mélodiques, à plusieurs voix, avec de drôles associations d’idées, des mots, des textures, des couleurs. Mon cerveau fuse à jets continus, voit la réponse évidente à une question, puis ses implications, puis les sous-réponses, les pour, les contre, les nuances, les analogies, les analogies des analogies, etc etc.
Ce n’est pas UNE réponse que j’ai, c’est un océan entier sur lequel j’essaie de naviguer pour rester compréhensible.
Parfois je m’y perds, ou je pars trop loin, ou je rate des évidences, ou je donne la réponse finale en sautant les étapes intermédiaires.
« Lunaire », « décalé », « bizarre », « dure à suivre », on me l’a déjà dit.
J’éprouve du plaisir et même de la paix dans l’unisson. Alors disparaissent les dissonances, les échardes, les triple-fonds. Il n’y a plus qu’une seule courbe, celle de ce que je suis en train de faire ou de créer, un alignement dans mes espaces intérieurs.
Ce point d’équilibre, je l’atteins très souvent en séance. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’aime tant dominer.
Et maintenant je le dis, visage à nu.