L’élégance teintée de perversité

J’ai toujours autant de plaisir à vous retrouver à chaque nouvelle séance. J’ai aussi énormément de plaisir à faire vivre Marthe, séance après séance.
J’ai toujours plus ou moins vécu avec un alter ego féminin. C’est assez difficile à expliquer mais depuis très jeune, je me suis mis à imaginer vivre des situations en tant que femme.
Mon plus grand fantasme est de pouvoir switcher d’un sexe à l’autre d’un simple claquement de doigts.
A neuf ans je m’imaginais danseuse, après avoir vu un ballet.
A douze ans je m’imaginais prisonnière attachée au mât après avoir vu un film de pirate.
A quinze ans je m’imaginais obligé de me transformer en femme pour échapper à je ne sais qui.
A dix huit ans je m’imaginais confondu avec une femme à l’hopital et obligé de me conformer à ce qu’une doctoresse perverse voulait de moi.
Les années ont défilé, les fantasmes aussi, avec toujours cet alter égo féminin proche.
D’abord simplement travesti en danseuse, le fantasme de la prisonnière m’a conduit à ajouter les liens et les chaînes et à découvrir le selfbondage puis le masochisme.
A mes découvertes en solitaire se sont enchaînées des découvertes en couple. Bien des années après, tout ceci m’a conduit à franchir le cap de vous rencontrer.
Je  ne crois pas avoir jamais souffert de cet état « double ». Je suis un homme et j’aime imaginer vivre certaine choses en tant que femme. Je n’éprouve pas le besoin de chercher plus loin.
Depuis deux ans c’est donc Marthe qui est cet alter égo.
D’abord un peu pris au dépourvu par l’arrivée de ce personnage je lui ai donné vie dans mes rêves.
Marthe, homme embauché comme soubrette femme faute de candidate, vivant, sous la férule d’une Maitresse sévère qui n’hésite pas à punir en cas d’écart. Elle vit dans une grande maison dissimulée sous une apparence féminine pour ne pas apparaître différente du reste du personnel.
Marthe, son feu aux fesses, ses bêtises avec le fils du jardinier, ses retards, ses bégaiements, son incapacité à faire des rimes en -ette.
Marthe, sa cage de chasteté et son collier pour bien marquer son absence de liberté.
Il m’arrive maintenant souvent, dans les jours qui précèdent une de nos rencontres, de m’imaginer convoqué pour répondre d’une erreur, d’un retard ou d’une autre violation de règle.
Ce fut le cas lors de notre dernière séance.
Au cours de celle-ci, j’ai découvert votre nouvelle croix. Vous étiez inquiète qu’elle dénature l’ambiance de votre boudoir.
Ce boudoir bourgeois, éclairé à la bougie, feutré et puis derrière les rideaux rouges, l’autre face, la collection d’escarpins, de liens, de fouets et cette croix !
Les codes initiaux sont détournés. Le prie-dieu et les cordes, l’étagère et les bites, le bois verni (et lisse !) de la croix et les bracelets de cuir attachés aux anneaux métalliques.
J’ai ressenti un accord parfait entre l’élégance teintée de perversité de votre boudoir et votre personnage que vous incarnez si bien pendant les séances.
Le chaud de la cire, le froid de l’acier, l’étreinte des cordes, les picotements de la roulette, les spasmes causés par les électrodes, le bandeau, le bâillon, les gifles, les caresses.
Vos ordres et mais aussi vos chuchotements, vos rires et vos sourires, votre souffle qui s’accélère, qui ralentit, votre ton enjôleur puis moqueur.
Et puis le bois, encore rugueux contre ma peau. Les tâtonnements pour fixer les bracelets au bon endroit. Vulnérable.
Quand les martinets ont commencé à danser sur ma peau, je suis parti. Si vous aviez pu voir mon visage vous auriez sûrement dit que j’avais mon regard… celui-là !
D’autres instruments se sont succédé. Plus ou moins lourds, cinglants, cuisants. La douleur qui se mêle au plaisir. Un cercle aussi vicieux que Marthe et le fils du jardinier réunis.
Que j’étais bien dans la peau de Marthe punie.
J’en frissonne encore en y repensant.
Témoignage de F.

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