La Boîte des Plaisirs

Aussi étrange que cela puisse paraître, je n’étais pas si anxieux que ça à l’idée de vous rencontrer. J’avais épluché tous les réseaux sociaux, fouillé Internet jusque dans ses moindres recoins, analysé et scruté chaque photo, zoomé, dézoomé, rezoomé chaque image, lu et relu chacun de vos textes. Je vous avais eu au téléphone la veille et l’échange avait été très courtois, amical, ce qui avait renforcé le sentiment de confiance que je ressentais.
C’est donc la fleur au fusil et avec l’assurance de l’homme qui sait d’où il vient et où il va que j’ouvre la porte de votre immeuble. Je me sens prêt à relever le défi, préparé et confiant, me répétant à l’envi qu’à vaincre sans péril on triomphe sans gloire.

En montant l’escalier je pense à l’un de vos audios dans lequel vous évoquez l’univers du dedans qui s’oppose à l’univers du dehors. Je souris à l’idée que je me trouve au cœur du processus de transition. J’ai la tête encore emplie des petits tracas du quotidien et des petits bonheurs du lendemain.
Me voilà maintenant devant votre porte. J’inspire profondément, rentre ma chemise dans mon pantalon et frappe trois coups légers. Quelques secondes de silence avant d’entendre du bruit derrière la porte. Je vous devine en train de me regarder par le judas.
Vous ouvrez.
Il ne m’aura finalement fallu qu’une petite seconde, cette seconde pendant laquelle je croise pour la première fois votre regard, pour perdre brutalement l’entièreté de mon assurance. Moi qui ai plusieurs fois joué et répété intérieurement cette scène (avec, je le dis en toute modestie, un certain succès critique), j’oublie brutalement mon texte et me décompose littéralement devant vous. Je deviens liquide, pire, gazeux ! Quant à vous, vous êtes là, super sympa, super souriante, une pointe d’ironie amusée au coin des yeux.
Aux blagues que vous me faites, je réponds en bredouillant, aux références culturelles que vous sollicitez, je bredouille de plus belle. Vous vous marrez, vous vous foutez de moi, vous me dites que j’ai l’air d’un enfant de cinq ans, vous avez raison, je le sais.

L’entrée dans votre univers se fait selon un rituel que vous m’expliquez : je dois me déshabiller, me laver et venir frapper à la porte. Je m’exécute, ouvre et entre, nu comme un vers, dans cette pièce hors du temps. Je vois le velours rouge des rideaux, le parquet verni en chêne, les moulures à la croisée des murs et du plafond. Je vois les tableaux et les chaines qui pendent du plafond. Me voici dans votre antre et il ne me semble plus possible de reculer. Vous me posez des questions, je réponds totalement à côté, dois m’y reprendre à trois fois pour articuler une phrase intelligible. Une partie de moi se marre en constatant cela, me chambre et m’envoie des images de cette scène dans d’autres contextes. Je souris jaune, ça ne m’aide pas vraiment.

Au milieu de cette pièce, donc, vous me parlez, vous dansez, vous valsez autour de moi. Vous me pincez, vous me caressez, vous me griffez.
Moi, je vous observe à la dérobée. Je vous trouve d’une beauté à couper le souffle et d’une élégance folle. Je tente par tous les moyens d’attraper votre regard. Il m’hypnotise, ce regard. Je voudrais bien m’y perdre mais vous n’êtes pas dupe : vous l’offrez, vous le retirez, vous le distillez.

Je suis maintenant debout au milieu de la pièce, les bras en l’air, les mains accrochées par des menottes aux chaines qui tombent du plafond. Même mon autre moi, si hilare il y a dix minutes, n’ose plus se foutre de moi quand vous prenez un martinet. Lui et moi sommes inquiets, je ne m’attendais pas à ça.
J’appréhende la douleur mais ne le montre pas : il me reste tout de même une once de fierté.
De cette once, les coups de martinet en ont vite raison : ils pleuvent. Sur les fesses, sur le dos, sur le ventre. Je suis tour à tour bâillonné, aveuglé, entravé. Mordu, fessé, pincé, sodomisé. La douleur est vive mais lorsqu’elle s’associe à la douceur des caresses ou des mots, elle se transforme en une sensation que je découvre avec surprise : dans mon corps, une avalanche d’informations contradictoires se télescopent, se parlent, se répondent. Certains membres tremblent de plaisir, d’autres de douleur. J’aimerais bien me poser, m’arrêter sur ce que je ressens, l’analyser, mais mon cerveau ne comprend plus rien. Je me sens plongé dans une fine brume qui m’envahit petit à petit.

La musique est incroyable, lancinante, belle. Je reconnais la voix sublime de Nick Cave, le timbre merveilleux de Janis Joplin. Mon autre moi est maintenant avec moi, il y trouve plus que son compte. Je suis dans une sorte de communion. Vous me crachez dessus, j’adore ça, j’en redemande.
Une gifle part. Devant mon air surpris, vous feignez de l’être aussi, j’en redemande aussi.
Vous vous vantez d’avoir lu parfaitement mon questionnaire et me chambrez gentiment sur l’expression « masochisme léger ». C’est vrai qu’à ce moment précis, dans la position dans laquelle je me trouve, elle me paraît un peu con cette expression. Je bredouille, un peu honteux. Mais lorsque vous me demandez si j’ai indiqué la cire comme une limite, je vois là l’occasion de prendre une maigre revanche et, à mon tour, vous chambrer en vous répondant que finalement vous ne l’avez pas lu si bien que ça, ce questionnaire. Les mots ne sortent pas, raté ! Cela dit, je ne sais même plus moi-même ce que j’ai écrit.

Me voila maintenant avec des pinces sur les seins reliées par une chaînette que vous me mettez dans la bouche. Vous me relevez la tête pour tirer sur la chaine. Ca fait très mal mais votre visage est à quelques centimètres du mien. Je baisse la tête, vous insistez, je la relève, une des pinces se détache. Douleur aiguë, inattendue, qui se heurte à la douceur de notre tête à tête.
C’est si étrange que j’en rigole. Vous rigolez aussi, je crois.

Il arrive un moment où vous semblez hésiter sur la suite avant d’aller chercher une boîte que vous me présentez comme « la boîte des plaisirs ». Je ne distingue pas bien ce qu’il y a dedans mais j’ai l’impression qu’il s’agit de matériel de dessin et je me demande bien ce que des crayons et des gommes viennent faire dans cette histoire. Finalement, ce ne sont ni des crayons, ni des gommes mais des sortes de pinces à linge que vous accrochez méticuleusement, consciencieusement, méthodiquement à la peau de mes testicules.
Nouvelles douleurs, nouvelles sensations, nouvelles informations contradictoires. J’ai, au niveau du bas ventre, un chapelet de pinces à linges, on dirait une nuée de crabes accrochés à un rocher. Vous me dites qu’il y en a dix, je ne vous crois pas, je sais qu’il y en a au moins cent.
Pour les ôter, vous me proposez un jeu de cartes. Il y en a une qui me fait particulièrement mal mais je ne vous le dis pas, je crains que ne décidiez de la retirer en dernier. Malgré mes sens embrumés, je calcule, je compte, tente le coup et vous donne un chiffre. Vous me retirez en premier la plus douloureuse ! Petite victoire que je ne boude pas : ce n’est pas le triomphe de celui qui a vaincu sans péril mais, de là où je me trouve, ça y ressemble un peu.

Vous augmentez le son de la musique et me proposez pour finir un moment de tendresse, un espace de sensualité. Vous caressez mon corps quelque peu meurtri, vous me parlez avec douceur, vous fredonnez doucement, je crois. Je me laisse entraîner, je découvre la volupté et le bonheur d’avoir été, pendant ce qui m’a paru durer l’espace d’un instant, un terrain de jeu, un pantin à votre merci.
Je ne jouis pas, le plaisir est ailleurs.
Vous me détachez avec gentillesse, me montrez les gestes qu’il faut faire pour faire circuler le sang et m’envoyez prendre une douche.

La parenthèse se referme doucement devant une tasse de thé. Nous discutons quelques minutes, je prends congé de vous et pars retrouver, à pas feutrés, le monde du dehors.

Témoignage de J.

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