Spectre (in)visible
Vermeil, l’alcantara du canapé Togo sur lequel tu es allongé, seul en cette fin de mercredi après-midi.
Indigo, les pétales de lotus dont tu as inhalé les vapeurs en quête d’une imperceptible ivresse.
Vertes, les feuilles de salvia divinorum que tu as longuement mâchées.
Doré, le miel que tu as mêlé à la lamiacée pour en atténuer l’insoutenable amertume.
Écrus, les vêtements négligés de l’homme étendu sur ton sofa que tu contemples depuis un ailleurs nébuleux.
Tangerine, le rêve analogique qui accompagne ton propre songe lucide guidé par la plante psychotrope, le timbre unique des synthés Moog te portant à travers le temps jusque sur le cuir sombre de cet autre canapé Togo où, enfant, tu restais des heures, hypnotisé par ces sons étranges.
Roses, les fleurs du peyotl que tu consommais avec la sibylline Isabelle, résurgence soudaine d’un passé plus récent embué de mescaline.
Noirs, ces souvenirs qui parfois te hantent mais que tu ne renies pas car ils sont une part essentielle de toi.
Gris, le ciel d’hiver que tu entrevois derrière tes paupières entrouvertes tandis que doucement ton esprit réintègre ton corps et que flotte devant tes yeux un kaléidoscope de visages et de silhouettes indistincts. La Furtive est là aussi, elle attend son heure, tapie dans les ombres de ton délire.
Saphir, la combinaison légère qu’elle affectionne.
Paille, ses cheveux que tu aspires à humer.
Cinabre, ses ongles que tu aimerais sentir te lacérer.
Céruléens, ses yeux où se désagrège la perle de ténèbres de ta mémoire, goutte d’encre de Chine diluée dans un océan fantasmagorique quand tu t’abandonnes entre ses mains et que son emprise te libère.
Rubis, le sang qui pulse encore violemment dans tes veines alors que l’effet de la sauge des devins se dissipe, ce sang que tu voudrais qu’elle verse, elle qui a choisi pour nom celui d’une lame.
Blanche, la lumière de la petite lampe que tu fixes alors que la nuit tombe, un peu hébété, de retour ici et maintenant, insipide synthèse des innombrables nuances chatoyantes perçues à travers le prisme de ta transe hallucinée.
Texte de flonflons.
Photo de Jinklab.