Injurier vos yeux

Vos yeux seront ma première session avec vous, Madame. Ma première vraie séance de sado-masochisme. Si j’avais ardemment pratiqué le fétichisme, été l’esclave sexuel fréquent d’une maitresse et même de deux pour un moment, même si je m’étais délicieusement travestis dedans et dehors, je n’avais jusqu’alors pas connu l’âpre plaisir du BDSM. Je souhaitais découvrir pour ne pas mourir idiot, pour une part d’aventure. J’ai consulté des sites. Et très vite ce fut une évidence : ce serais vous qui seriez mon initiatrice. Qui aurait les clés de mon passage dans votre monde. Alors, pas d’hésitation, à peine quelques contre-indications, libre à vous de faire de moi ce que vous
voudrez.
La confiance, je l’ai lu dans vos yeux de pixel, puis dans vos yeux lorsqu’après avoir attendu devant une porte percée d’un glory hole que ne pourrait remplir l’homme le mieux membré, je me suis agenouillé et vous avez dessiné de votre rouge à lèvre de jolis cœurs autour de mes tétons – quelle belle attention : je vous avais glissé
qu’il s’agissait du cœur de ma sexualité. Vos yeux m’ont alors regardé comme une première fois – à ce moment, ils étaient bleu quelques peu interrogatifs. Vous avez couvert les miens de deux masques. J’étais à votre merci et vous m’avez conduit vers une estrade et attaché avec maintes et maintes ceintures à une croix de Saint André.

De face, je cherchais vos yeux et lorsque vous m’accordiez votre regard je ne sentais plus les coups, les cruelles pinces aux seins, aux testicules. Je ne sentais que le plaisir des dents de kali que vous seriez autour de ma queue en travaillant terriblement au vibro la crête de mon gland. Mais lorsque vos yeux s’éloignaient, alors la douleur surgissait, en vagues atroces. Vous le saviez et vous en jouiez, cruelle, pour que je crie de souffrance.
Et puis vos yeux revenaient et je retrouvais le doux plaisir du mal subit.
Et je me penchais vers vous autant que peu se faire dans mes liens, pour espérer toucher vos yeux au plus près.

Lorsque vous me fîtes me retourner, pour travailler mon dos avec tous les fouets de votre attirail – vous ne m’avez rien épargné – j’avais encore vos yeux dans mon regard et je dansais sur les coups du fouet de crin de cheval – qui ressemblent à une tempête de sable, m’avez-vous dit – et sur la trompette d’Ibrahim Maalouf ou les stridences de Nick Cave and the Bad Seeds. Je poussais des petits « aie », histoire de dire, mais surtout parce que j’avais remarqué qu’ils provoquaient chez vous une mutine mimique et un éclair dans vos yeux et un rire – car nous avons beaucoup ri au cours de ces deux heures et dès le début de la session, et j’ai aimé vos yeux qui eux
aussi riaient.

Vos yeux ont changé lorsque vous m’avez sodomisé, plus attentifs, comme vides d’expression. J’avais les jambes en l’air (!) tenues par une barre et je parvenais tout de même à caresser doucement votre bras nu pendant que votre salive – plus subtile qu’un triste crachat – tombait de votre bouche peinte d’un rouge radical et qu’une bave émouvante y restait pendue comme une forme d’éjaculation transgressive.
Vous simuliez une pénétration de votre bassin vêtu d’une superbe  jupe de cuir blanc, en perdant le rythme de vos mots – j’ai perçu « pegging ». Le vibro est revenu pour un travail très dur du gland. Et vous me donniez vos pieds délicats vêtus de résilles à vénérer, et vous laissiez glisser encore et encore de la bave sur ma joue. Et je m’accrochais à vos yeux encore et encore. Le plaisir était là, m’enveloppant, comme un orgasme infini.
Vous m’avez donné 4 minutes pour éjaculer, minuteur en main. Mais nous savions et vous et moi, que je ne me viderais pas. A quoi bon ? Mon sperme répandu sur mon ventre, ç’aurait été injurier vos yeux.

Témoignage de E.