Madame Lule

Dominatrice à Paris

Drama Queen

Pour lui, dans une séance, le scénario est essentiel. C’est pourquoi il a écrit la trame de notre rendez-vous. J’y incarne une femme médecin ou, comme je me suis présentée lorsqu’après la douche, il a franchi en caleçon la porte de mon salon, une « spécialiste en dysphorie du genre ».
Au lieu de la traditionnelle blouse blanche, j’ai opté pour une tenue moins spécialiste de l’AP-HP que psychanalyste des beaux quartiers : un chignon, un maquillage discret, un chemisier et des dessous blancs, une jupe droite, des collants et des escarpins noirs. Puis, en guise de touche finale et médicale, un calot d’infirmière oublié un an plus tôt par une consœur, au terme d’une séance mémorable.

Me voilà donc surplombant mon patient du haut de mes talons.
– Bonjour, Henri. Vous m’avez été référé en raison de symptômes jugés préoccupants. Si j’ai lu attentivement votre fiche et le diagnostic de mes collègues, je préfère que vous m’expliquiez avec vos propres mots la raison de votre présence.
– Madame, je vis un drame…
– Un drame ?
– Un drame, oui : peu à peu, je deviens une femme !
Même dans le cadre d’un jeu, cette entrée en matière prend mon féminisme à rebrousse-poil.
– Et en quoi, dites-moi, est-ce un drame de devenir une femme ? Avez-vous conscience que vous vous adressez… à une femme, et que vos propos sont insultants ?
– Non, c’est que…
– C’est qu’un homme qui se transforme en femme, c’est la honte, mais qu’une femme qui se transforme un homme, ça ne l’est pas !
– Oui mais…
– Mais quoi, donc ?
– D’accord Madame, vous n’avez pas tort.
– Puisque je n’ai pas tort ou, en d’autres termes, puisque j’ai raison, vous ferez dans mon cabinet l’expérience de ce que signifie « être une femme ».
C’est vrai, ça : tant qu’à jouer sur les clichés, autant y aller franchement. Je fixe le caleçon d’Henri qui, par chance ou à dessein, est rose, puis exige qu’il l’enlève comme une femme, c’est-à-dire…
– … avec grâce et sensualité, comme seules les représentantes du « beau sexe » sont censées savoir le faire.
Grâce et sensualité, Henri a du mal. Néanmoins il essaie, dans une caricature de strip-tease qui le fait se dandiner, jouer avec l’élastique de son caleçon, s’humecter la bouche qu’il a fine et darder la langue d’un air suggestif. Puis, comme désireux d’abréger sa performance, il ôte son dessous d’un geste sec.
– Non ! Non ! Faites languir, enfin ! Ne donnez pas tout sur un plateau comme une « fille facile »… Misez sur l’attente, le mystère, la suggestion.
– Le mystère… D’accord, Madame, j’ai compris.
Alors qu’Henri est prêt à se rhabiller pour un deuxième round, je lui désigne le divan. Il y a pose son caleçon – en boule, certes, mais je tiens à souligner son effort :
– Au moins vous ne l’avez pas jeté par terre. Bon, après l’effeuillage, la marche ! Étape un : regardez où vous voulez aller, par exemple de l’autre côté de mon cabinet, près du miroir. Étape deux : tournez-vous, dans l’axe de votre point de mire. Prêt ? Avancez… lentement, vous ne prenez pas le train ! Libérez vos épaules, hanches souples, vous êtes raide comme un piquet ! Grâce ! Maintien ! Bras fluides, cou ployé ! Vous avez avalé un balai, Henri ?
– Non, je…
– Concentrez-vous ! Un, et deux, un pied devant l’autre ! En équilibre, mieux que ça ! Balancez du cul pour m’aguicher parce que là, vous ne m’excitez pas du tout. Si je vous croisais dans la rue, je n’aurais aucune, mais aucune envie de vous baiser ! Demi-tour… aérien, j’ai dit ! Revenez vers moi. Et un, et deux, petits, les pas, petits ! Demi-tour, recommencez !
Et Henri marche, marche sans grâce ni souplesse, en tortillant du croupion dans une caricature de cocotte. Quelques allers-retours plus tard, je juge que l’exercice a assez duré.
– Bon. Revenez vers moi. Si vous deviez noter votre performance, quelle note vous attribueriez-vous ?
– Mmmh… 5, Madame.
– 5 sur combien ? Sur 5 ? Sur 10 ? Sur 1000 ? À moins que 5 soit l’équivalent de zéro et zéro le nouveau chiffre de l’excellence ?
– 5 sur 10.
– Rassurez-vous, Henri, vous n’êtes pas en train de devenir une femme.
– Pourquoi, Madame ?
– Parce qu’il n’y a que les hommes pour se surévaluer de cette façon.

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